Je me tiens dans l’encadrement de la porte, prête à partir. Le masque sur le nez me gratte. J’ai hâte de l’enlever. Je me sens ridicule avec cette charlotte sur la tête et cette combinaison d’hôpital me donne l’impression d’être habillée en cosmonaute… Je me retourne avant de fermer la porte pour te jeter un dernier regard. Le peu de conversation qu’on vient d’avoir me laisse sans forces et j’ai hâte de rentrer pour récupérer mes enfants à l’école et pouvoir serrer dans mes bras leurs petits corps chauds, plein de vie.
Ton regard…Je croise ton regard si profond, si expressif…Tes yeux bleus habituellement sans expression, vides. Tu as envie de me dire tellement de choses, jamais dites, jamais avouées, toujours retenues. Avec ton regard, tu es prête à me retenir. Dans ton regard, je lis toute une vie, jamais racontée. Tu es en train de me dire adieu, mais aucun mot ne sort de ta bouche.
Je referme la porte. Tu aurais pu… tu aurais dû me parler. On a échangé comme si tu n’allais pas t’en sortir et tu as réglé tes affaires. Maman, tu m’as parlé comme si tu allais mourir… ! Tu as déjà décidé de ne pas te battre… même pas pour moi, pour ma sœur, pour mes enfants… Tu es déjà vaincu avant même d’avoir mené le combat.
À la fin de ce mois de novembre 2019, je m’en vais du secteur stérile de l’hôpital de Poitiers, déterminée à m’accrocher à la vie alors que tout mon monde s’effondre. Il n’y a même pas 24h que tu as appris que tu étais malade d’une leucémie. Je t’avais laissé aux urgences de l’hôpital avec un mal de gorge et une grosse fatigue, pensant te ramener à la maison deux heures plus tard…
La mort frappe tellement vite à la porte. On se dit qu’on a toute la vie devant nous pour se parler, se dire ce qu’on a sur le cœur, partager nos secrets et rêver nos rêves ensemble. Mais toi, tu es là sur ton lit d’hôpital avec tes rêves et tes secrets et tu ne parles toujours pas. L’occasion était là et maintenant… c’est trop tard. Tu m’as laissé avec mes questionnements, mes doutes… Je me suis sentie abandonnée : qui étais-tu Maman ? Si peu expressive, mais à la fois excentrique. Si secrète, mais à la fois, parfois, bavarde.
J’aurais aimé en savoir plus sur toi. J’aurais aimé te connaître, connaître la femme que tu étais. J’ai renoncé. J’ai renoncé le jour où je t’ai laissé dans cette chambre d’hôpital, si fragile, si vulnérable. J’ai su ce jour-là que je ne saurais jamais ce qui te hantait, ce qui te torturait même parfois, ce qui faisait vivre chez toi ce petit grain de folie, comme certains l’auraient dit… Parfois, de mon côté, j’ai eu envie de parler de folie, tout simplement.
Tu t’es laissée glisser vers la mort alors que tu pouvais paraître si vivante. Tu t’es laissé entraîner par elle alors que tu semblais te croire invincible.
Je veux garder les plus beaux souvenirs de toi. Je feuillette votre album de mariage et j’y vois une jeune femme dynamique, souriante, élégante et très belle. Je comprends que Papa ait succombé à ton charme.
Je veux garder l’image d’une Maman un brin artiste et pleine de projets.
À quel moment, as-tu perdu ta joie de vivre ? À quel moment est-ce que tu t’es retrouvée seule ?
C’est dur à dire, mais je ne veux pas finir comme toi. La bonne petite fille à sa maman ose dire ça… mais c’est vrai. Je ne veux pas perdre mes rêves en cours de route comme tu l’as fait. Je ne veux pas être enterrée avec mes talents et mes aspirations. Je ne veux pas arrêter de vivre. Et pourtant, j’ai déjà l’impression de te ressembler par moment…
Peut-être que c’est le quotidien, la routine qui t’ont emporté. Peut-être que ce sont les difficultés de la vie, les épreuves qui t’ont tué. Des secrets inavoués, des non-pardons.
Peut-être que ce sont toutes ces raisons qui t’ont fait oublier le sens de ta vie. Qui petit à petit t’ont fait voir la vie en noir et blanc.
Peut-être que ce sont tes talents enfouis, des paroles inexprimées qui ont fini par t’étouffer et te ronger.
Puis un matin, tu t’es réveillé sans espérance, tu avais perdu la foi.
Maman, la vie a un sens. Je ne veux pas laisser la flamme s’éteindre. C’est si simple. Je ne veux pas laisser ce qui m’anime mourir. Je ne veux pas laisser le temps me rattraper pour m’échapper complètement.
Toi qui passes par-là, ne te laisse pas mourir à petit feu. Ne te laisse pas voler ta destinée. Ce texte peut te paraître mélancolique, mais je veux te dire une chose essentielle : n’enterre pas tes talents et ne laisse pas se faner ce qui fait que tu existes, que tu es vivant.
Un jour j’ai fait une rencontre exceptionnelle, un jour j’ai rencontré la Vie. Cette rencontre me fait comprendre jour après jour le sens de ma vie. Cette rencontre fait brûler en moi un feu qui m’anime. Cette rencontre a un nom : JÉSUS.
Toi aussi, tu peux le rencontrer. Toi aussi, tu peux aller à sa rencontre. Appelle-le… ! Jésus. Il t’expliquera qui tu es en Lui, il te dira quelle est ta place sur la planète, il te fera comprendre le sens de ta vie, ta destinée.