Mon fils est porteur de handicap. Je n’aime pas dire : mon fils est handicapé. Trop stigmatisant, trop identitaire. Non. Il est juste porteur de handicap, c’est-à-dire que le handicap est venu se rajouter à lui, alors qu’au départ Victor était parfait, mais qu’une imperfection est venue se glisser dans sa constitution.
Quand on me force à dire que mon fils est handicapé, je me mets en colère… comme l’autre fois où ce policier est venu me signaler que j’étais garée sur une place « handicapée » alors que je n’ai pas de carte de stationnement spéciale « handicapée ». Oui… je sais… je n’ai pas le droit Monsieur le policier… Entre nous, je ne prends jamais ces places, sauf l’autre jour au collège pour 2 minutes…
Après, je ne devrais peut-être pas me mettre dans des états pareils. Il y a 14 ans, on m’avait quand même annoncé que mon fils serait « TREEEEEEES lourdement handicapé », « hydrocéphale », qu’il ne communiquerait « JAAAAAMAIS », que ça serait « TREEEEEES difficile » et peut-être qu’il ne survivrait pas à la naissance… Alors juste « handicapé », c’est rien.
En fait, je n’ai jamais voulu lui coller une étiquette sur le front. « Tu vois mon chéri, ton copain Antoine, il est brun ; ton autre copain Marcel, il est intelligent ; ta petite cousine, elle est rigolote ; ton frère jumeau Clovis, il est mieux que toi ; et toi… tu es handicapé. »
Non pas que je sois dans le déni, mais surtout parce que Victor est tout sauf réduit à des séquelles neurologiques ayant entraîné un trouble de la marche et une dyspraxie oculo-visuelle venant gêner certains gestes du quotidien et la motricité fine.
Mais surtout que j’ai fait de Jésus mon Seigneur et Sauveur et que je crois à la guérison divine. Je l’ai déjà expérimenté. Victor aussi, alors que son frère et lui étaient encore bien au chaud dans mon ventre. Son frère aussi d’ailleurs a été guéri par Jésus.
Bien au chaud, c’est vite dit. Très vite, ils ont dû lutter pour leur survie. « Madame, vous avez un syndrome transfuseur-transfusé, c’est-à-dire que le jumeau numéro 2 est le transfuseur du jumeau numéro 1 qui est le transfusé. Vous comprenez ? Il faut vous opérer en urgence à l’hôpital Necker à Paris après un transport en ambulance qui risque de vous faire accoucher prématurément de bébés non viables, blablablabla… » « Un syndrome TREEEEEEES rare… ». (Très rare, c’est vite dit….Quand ça vous tombe sur le coin de la figure, ce n’est plus vraiment très rare…)
Ah bon ? En gros, Victor, via le placenta qu’il a en commun avec Clovis, « envoie » tout son sang à Clovis, qui est en train de développer des œdèmes et dont le cœur fatigue parce qu’il pompe difficilement ce trop-plein de sang, alors que lui-même n’a plus assez de sang pour que ses organes fonctionnent normalement. L’opération en question : introduire une caméra dans mon ventre avec un petit laser pour aller détruire les vaisseaux sanguins que mes deux super-héros ont en commun sur le placenta. Un risque énorme, l’opération de la dernière chance.
« Vous comprenez Madame ? ». Je comprends surtout que je risque de perdre mes deux petits garçons, trop petits pour naître et en mauvais état. Mais je n’ai pas le choix.
L’opération fonctionne et je comprends après coup que Jésus est déjà dans l’affaire. Ce rendez-vous qui a permis de diagnostiquer ce TREEEEES rare syndrome a été avancé de 48 h, ces 48 h qui ont permis de sauver mes enfants…
Mais… il y a des séquelles malgré tout. « Votre jumeau numéro 1 a une insuffisance cardiaque, il vivra, mais ça sera un enfant très fragile ». Une fois encore, Jésus est là. Un mois plus tard : « Le cœur du jumeau numéro 1 va bien, il s’est adapté. » Ah oui ? !
Mais…. « J2 est foutu… ». Foutu ? Et commence le ballet parfaitement chorégraphié de médecins, psychologues, aides-soignantes, internes en médecine pour me faire comprendre qu’il n’y a rien à espérer de cet enfant et que ce n’est pas la peine de le laisser venir au monde. « C’est très simple Madame, on pratique une interruption sélective de grossesse. On vous introduit une petite caméra dans le ventre (encore ?!) et on injecte une solution létale dans le cordon ombilical de J2, son cœur s’arrête. Vous continuez votre grossesse normalement et vous mettez au monde J1 qui aura eu toute la place pour grandir. » Dit comme ça, ça a l’air fun, mais c’est NON. « Mais prenez quand même le temps d’en discuter avec votre mari. » Ah quand même !!
Mais c’est non. On n’en a jamais discuté, pas la peine, on sait que c’est non. J2 s’appelle Victor et il viendra au monde comme J1, Clovis. Point final.
« D’accord, si vous voulez… mais on vous fait signer une décharge. » OK, pas de problème. On choisit la Vie.
Clovis et Victor naissent à 7 mois de grossesse. La césarienne était programmée. C’est très tôt, trop tôt, mais ils avaient besoin de continuer à grandir en couveuse. Sur la table d’opération, attachée les bras en croix, le bas du corps anesthésié, je dirige toutes mes pensées vers toi Jésus. Je te remets la vie de mes bébés et même ma propre vie. Complètement dépendante de toi, épuisée après trois mois d’hospitalisation, sous surveillance en grossesse pathologique, j’attends. Je sais que David attend aussi dans le couloir, qu’il verra nos enfants avant moi, qu’il sera avec eux, lui qui a été tellement dépossédé de sa paternité. À l’hôpital, difficile de devenir parents quand tout le monde veut t’enlever ton enfant. Mais j’ai confiance, il sera avec ses fils.
L’ambiance est tendue. Je vois leurs traits crispés, leurs regards durs. Pour eux, Victor ne survivra pas.
Et pourtant… tu pousses un cri que je n’oublierais jamais mon bébé. Le cri de la Vie, celui de la victoire. Tu es vivant, c’est l’essentiel… Merci Jésus… La pédiatre n’y croyait pas. Elle essaie tant bien que mal de cacher les quelques larmes qui lui coulent des yeux quand elle me montre pour la première fois ta frimousse. Tu es tout petit dans ses bras, mais tu respires.
Il y aurait encore beaucoup de choses à écrire sur notre combat. Ça viendra. J’ai tout gardé en mémoire. Mais pour l’instant, à chaque instant, je veux me rappeler la présence constante de Jésus. À chaque instant : dans les larmes, dans la joie, dans les cris, la souffrance, la douleur. Dans les épreuves, les victoires, la fierté de voir nos deux petits bonhommes devenir des hommes, rentrer dans la Vie.